Commentaire : Extrait 1

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Analyse technique     

     Renoir commence son film par une plongée, en gros plan, sur un phonographe où un disque tourne, suivie d'un panoramique vers le haut pour cadrer le lieutenant Maréchal en plan très rapproché . Ensuite, la caméra fait un panoramique (ou la caméra «panote») vers la droite pour suivre Maréchal en plan moyen lorsqu’il se dirige vers le bar pour parler à un autre soldat, découvrant en même temps, en profondeur de champ, d’autres officiers en train de discuter et de boire à des tables.

     La caméra s’arrête un instant pendant que Maréchal sort du cadre vers la gauche et que le capitaine Ringis fait irruption par la porte au fond de la salle à droite au même moment que l’ami de Maréchal s’en va par la même porte. Un nouveau panoramique en sens inverse accompagne le capitaine, toujours en plan moyen, vers la gauche jusqu’à Maréchal debout devant le phonographe où les deux hommes se trouvent en plan rapproché. Pour finir, un dernier panoramique, en plan moyen, suit les deux hommes qui partent vers la droite et se dirigent vers la porte.

    Renoir utilise le montage cut pour introduire le deuxième plan de la séquence : la caméra reprend les deux hommes en plan américan au moment où ils franchissent la porte et disparaissent. La caméra revient aussitôt en panoramique à gauche où elle cadre un moment le barman en plan rapproché avant de continuer le panoramique vers le bas pour s’arrêter en gros plan sur une grande pancarte accrochée au bar et où l’on lit : «L’alcool tue – L’alcool rend fou – Le chef d’escadrille en boit».

Commentaire

     Nous remarquons tout de suite que Renoir refuse de suivre les conventions dans sa manière de filmer. Selon l’approche traditionnelle, on commence par un plan d'ensemble (ou de grand ensemble) avant de passer à un plan de demi-ensemble, puis à un plan moyen. Les plans rapprochés et les gros plans viennent plus tard lorsqu’on a bien établi le cadre de l’action. Renoir suit une démarche contraire : il commence par un gros plan sur un disque dont il sort une chanson populaire, "Frou, Frou". Le disque nous renseigne tout de suite sur les goûts, et donc le statut social, de celui qui l'écoute ; Maréchal, qui est ouvrier (nous l'apprendrons bientôt), fait partie des couches populaires. Cette impression est confirmée par la tenue négligée du personnage révélée par le panoramique qui nous le montre en plan très rapproché (et qui prépare le contraste avec la mise très soignée de l'officier aristocrate, le capitaine de Boëldieu, qui nous frappe dans le troisième plan du film). Le panoramique suivant, qui accompagne Maréchal lorsqu'il s'éloigne vers le fond de la salle, passant en plan moyen, l'inscrit dans son contexte physique et social: la cantine des officiers. Lorsque le capitaine Ringis vient le trouver, surgissant du fond de la salle, un panoramique le suit jusqu'à Maréchal, gardant intact l'intégrité de l'espace où l'action se déroule. L'évocation de "Joséphine", la femme avec qui Maréchal a rendez-vous en ville (et il n'est pas le seul à la fréquenter...), au cours de leur conversation, complète la peinture de son caractère d'"homme du peuple".

     De façon générale, en se servant des mouvements d’appareil, en conjonction avec la profondeur de champ, au lieu de couper la séquence en plusieurs plans, Renoir insiste sur l'intégration du personnage dans son environnement. Malgré le changement de plan tout à la fin de cette petite séquence, nous avons affaire, dès le début du film, à un plan-séquence typique du style de Renoir.