Commentaire : Maréchal et Rosenthal en fuite—la brouille (3’01”)

 

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Analyse technique

     Ouverture en fondu sur un plan de grand ensemble de la montagne. Panoramique vers le bas pour cadrer en plongée Maréchal et Rosenthal dormant côte à côte par terre. Ils se réveillent, se lèvent suivis par un panoramique, s’éloignent. Fondu enchaîné. Maréchal et Rosenthal en plan général, descendent une route de montagne couverte de neige. Rosenthal traîne derrière, marchant difficilement, en boîtant, avec son bâton. La caméra les accompagne en travelling-arrière. Cut. Les deux hommes s’arrêtent en plan américain, la montagne en arrière-plan, commencent à se disputer; travelling avant jusqu’en plan rapproché: grande engueulade. Rosenthal, s’énervant, dit à Maréchal de “foutre le camp”. Court travelling arrière accompagnant le départ de Maréchal, s’arrêtant en plan moyen sur Rosenthal. Cut. Plan-rapproché sur Rosenthal, au bord des larmes, qui chante “Il était un petit navire”. Cut. Maréchal en plan moyen se dirige vers la caméra en chantant la strophe suivante de la même chanson. Travelling arrière accompagnant l’avancée de Maréchal jusqu’à ce que celui-ci arrive à la hauteur de la caméra, puis la dépasse. Cut. Plan rapproché sur Rosenthal qui pleure, la tête baissée; Maréchal entre dans le champ de la droite, son corps reste en amorce; léger panoramique vers la droite, puis vers le haut pour cadrer son buste en plan rapproché. Pano vers la gauche suivant le mouvement de Maréchal qui relève Rosenthal et l’emmène, quittant le champ.

Commentaire


     Au début de cette séquence, on découvre Maréchal et Rosenthal blottis l’un contre l’autre, unis contre une nature hostile. Le panoramique initial sert à les inscrire dans ce monde froid et menaçant, qui présage, peut-être, la froideur qui va s’installer bientôt dans leurs rapports. Dans le deuxième plan, ils sont déjà désunis, ce qui est souligné par la distance qui les sépare sur la route. Poussés à bout par la souffrance physique (la faim, la fatigue, le froid—pour ne pas parler de l’entorse sévère de Rosenthal) et morale (le découragement, la peur), le sentiment de solidarité entre les deux amis est en train de s’effriter. Au moment de l’engueulade finale, la caméra exécute un travelling avant pour cadrer les deux hommes en plan rapproché, ce qui a pour effet de rendre le caractère émotionnel de la scène plus intense (plus on s’approche du gros plan, plus la tension est importante...). Le petit travelling arrière à la fin de la dispute souligne le départ de Maréchal, ponctué par une coupe franche (montage “cut”) suivi d'un plan où Rosenthal se trouve, pour la première fois dans la séquence, seul, ce qui insiste sur la séparation des deux hommes. La chanson commencée par Rosenthal pour montrer à Maréchal qu’il peut se passer de lui, est reprise, dans le plan suivant, par Maréchal, seul, lui aussi, pour la première fois. Dans le dernier plan de la séquence, Rosenthal est rejoint par Maréchal dans le même champ, ce qui indique la réconciliation des deux amis, le triomphe du sentiment de fraternité sur la souffrance individuelle, l’intérêt personnel, et le racisme viscéral qui ont provoqué la brouille. Le montage “cut” dans cette séquence, par son caractère brusque après les deux enchaînés du début, a pour effet de durcir le ton, de souligner la violence des émotions et l’hostilité croissante entre les deux personnages. La chanson, “Il était un petit navire”, est le même air que Boëldieu avait joué à la flûte pour faciliter l’évasion de Maréchal et Rosenthal. Maréchal se serait-il souvenu, à la fin, du sacrifice de Boëldieu? Serait-ce une explication (partielle) de son revirement, du retour du sentiment de solidarité avec son camarade?