Analyse technique
Le plan commence par un fondu enchaîné
qui souvre sur un immense Christ en bois sculpté, suivi dun
panoramique qui part vers le bas pour découvrir un autel où lon
voit une photographie de lempereur Guillaume II, puis un lit, avant denchaîner
vers la droite en panoramique descriptif sur la chambre. On voit en gros plan
les objets familiers de lhabitant : un géranium dans un pot, une
bouteille de champagne dans un seau, un volume de Casanova avec un revolver posé
dessus, la photo dune femme, des jumelles, une épée, etc.
Le panoramique continue vers le haut pour cadrer en plan rapproché lordonnance
qui souffle dans une paire de gants blancs, puis accompagne vers la gauche celui-ci,
qui séloigne pour obéir à lordre douvrir
la fenêtre. Nouveau panoramique, toujours sans changement de plan, vers
la gauche pour suivre le mouvement de lordonnance qui sarrête
en plan rapproché devant la table où déjeune le commandant. Panoramique
vers le bas jusquà la table, puis vers la gauche encore pour cadrer
la table et le petit déjeuner en plan très rapproché, en
légère plongée, suivi dun léger travelling arrière
pour cadrer Rauffenstein, en plan rapproché, assis à la table, ainsi
que lordonnance qui se tient debout devant lui. Cut.
Commentaire
Nous avons affaire ici à un plan-séquence des
plus typiques du style de Renoir : aucune coupure ne vient briser lintégrité
de lespace de cette chambre avant quil nait été
révélé au spectateur dans sa totalité, avec les personnages
dont il sert de cadre de vie. La caméra se comporte comme un invité
invisible dont le regard balaie la chambre de Rauffenstein, révélant,
par la présence du lit, quil sagit, effectivement, dune
chambre, mais relevant aussi tout un ensemble dobjets qui évoquent
le caractère de celui qui loccupe. La chambre de Rauffenstein a été
installée dans la chapelle désaffectée de la forteresse,
ce qui explique le Christ sur le mur. Mais la sculpture introduit aussi
le thème de la religion catholique, ce qui nest pas étranger
au personnage aristocratique de Rauffenstein : la noblesse européenne est
depuis des siècles fortement liée à la foi catholique. Le
caractère de Rauffenstein et son style de vie sont clairement évoqués,
ensuite, par la série dobjets révélés par le
panoramique descriptif sur la chambre : son patriotisme par la photo de lempereur,
sa couche sociale par la seau à champagne avec la bouteille, son romantisme
par le volume de Casanova, sa vie sentimentale par la photo de femme, son identité
militaire par le revolver, les jumelles, lépée, et ainsi de
suite. La présence de lordonnance indique, évidemment, que
lhabitant de la chambre est le commandant de la forteresse, tandis que les
gants blancs semblent suggérer son appartenance à la caste des officiers
de carrière. La voix off de Rauffenstein contribue également, de
son côté, à la construction du personnage, le ton cassant
et dur des ordres quil entame traduisant lattitude hautaine et méprisante
du commandant - impression qui est confirmée dès quun dernier
recadrage fait entrer Rauffenstein lui-même dans le champ. Ce nest
quà ce moment que le spectateur se rend compte quil sagit
du même officier qui a reçu à déjeuner Maréchal
et Boëldieu dans la cantine allemande au début du film.
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