Commentaire : Extrait 8

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Analyse technique


     Le plan commence par un fondu enchaîné qui s’ouvre sur un immense Christ en bois sculpté, suivi d’un panoramique qui part vers le bas pour découvrir un autel où l’on voit une photographie de l’empereur Guillaume II, puis un lit, avant d’enchaîner vers la droite en panoramique descriptif sur la chambre. On voit en gros plan les objets familiers de l’habitant : un géranium dans un pot, une bouteille de champagne dans un seau, un volume de Casanova avec un revolver posé dessus, la photo d’une femme, des jumelles, une épée, etc. Le panoramique continue vers le haut pour cadrer en plan rapproché l’ordonnance qui souffle dans une paire de gants blancs, puis accompagne vers la gauche celui-ci, qui s’éloigne pour obéir à l’ordre d’ouvrir la fenêtre. Nouveau panoramique, toujours sans changement de plan, vers la gauche pour suivre le mouvement de l’ordonnance qui s’arrête en plan rapproché devant la table où déjeune le commandant. Panoramique vers le bas jusqu’à la table, puis vers la gauche encore pour cadrer la table et le petit déjeuner en plan très rapproché, en légère plongée, suivi d’un léger travelling arrière pour cadrer Rauffenstein, en plan rapproché, assis à la table, ainsi que l’ordonnance qui se tient debout devant lui. Cut.

Commentaire


   Nous avons affaire ici à un plan-séquence des plus typiques du style de Renoir : aucune coupure ne vient briser l’intégrité de l’espace de cette chambre avant qu’il n’ait été révélé au spectateur dans sa totalité, avec les personnages dont il sert de cadre de vie. La caméra se comporte comme un invité invisible dont le regard balaie la chambre de Rauffenstein, révélant, par la présence du lit, qu’il s’agit, effectivement, d’une chambre, mais relevant aussi tout un ensemble d’objets qui évoquent le caractère de celui qui l’occupe. La chambre de Rauffenstein a été installée dans la chapelle désaffectée de la forteresse, ce qui explique le Christ sur le mur. Mais la sculpture introduit aussi le thème de la religion catholique, ce qui n’est pas étranger au personnage aristocratique de Rauffenstein : la noblesse européenne est depuis des siècles fortement liée à la foi catholique. Le caractère de Rauffenstein et son style de vie sont clairement évoqués, ensuite, par la série d’objets révélés par le panoramique descriptif sur la chambre : son patriotisme par la photo de l’empereur, sa couche sociale par la seau à champagne avec la bouteille, son romantisme par le volume de Casanova, sa vie sentimentale par la photo de femme, son identité militaire par le revolver, les jumelles, l’épée, et ainsi de suite. La présence de l’ordonnance indique, évidemment, que l’habitant de la chambre est le commandant de la forteresse, tandis que les gants blancs semblent suggérer son appartenance à la caste des officiers de carrière. La voix off de Rauffenstein contribue également, de son côté, à la construction du personnage, le ton cassant et dur des ordres qu’il entame traduisant l’attitude hautaine et méprisante du commandant - impression qui est confirmée dès qu’un dernier recadrage fait entrer Rauffenstein lui-même dans le champ. Ce n’est qu’à ce moment que le spectateur se rend compte qu’il s’agit du même officier qui a reçu à déjeuner Maréchal et Boëldieu dans la cantine allemande au début du film.