Commentaire : Extrait 9

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Analyse technique


     Le plan commence par un panoramique vers le haut, pendant qu’on entend une musique de flûte sur l’air de la chanson “Il était un petit navire”. Le panoramique s’arrête en contreplongée sur Boëldieu qu’un projecteur rejoint et montre en train de jouer de la flûte sur l’escalier extérieur qui monte vers les chemins de ronde en haut des remparts. Cut. Plan rapproché de Rauffenstein qui regarde vers le haut. Cut. Plan rapproché de Boëldieu qui continue de jouer de la flûte. Cut. Plan moyen de Boëldieu assis sur la rampe ; il descend et regarde vers les gens en bas. Cut. Les soldats allemands essaient de maîtriser la foule de prisonniers dans la cour. Cut. Plan rapproché sur Maréchal qui recule dans la foule et s’éclipse. Cut. Plan général : des gardes qui descendent les escaliers en courant pendant que Rauffenstein remonte lentement, tout seul. Cut. Plan moyen sur Boëldieu qui continue de monter l’escalier extérieur, en jouant toujours le même air. Cut. Des gardes courent dans la cour. Cut. Des gardes montent l’escalier extérieur en courant. Cut. Boëldieu monte aussi en courant, accompagné d’un panoramique, s’arrête un instant pour permettre que le projecteur le rattrape, puis repart. Cut. Les gardes montent. Cut. Plan américain sur Maréchal et Rosenthal qui se préparent à descendre par la fenêtre.

Commentaire


     La séquence de l’évasion est tout le contraire du plan-séquence qu’affectionne Renoir. Comme il s’agit ici de mettre l’accent sur le rythme nerveux de l’action, et sur l’opposition entre les Allemands et les Français, Renoir utilise le montage “cut”, conjugué à des plans relativements courts. Tandis qu’un plan-séquence a tendance à suggérer l’unité–dans l’espace et dans le temps–de ceux qui occupent le champ filmique, les coupes franches, par les ruptures brusques qu’elles introduisent, soulignent la relation d’adversaires qui, au contraire, sépare les Français des Allemands. La multiplication des plans brefs, souvent rapprochés, accompagnés d’une musique rapide, crée une impression de précipitation qui traduit l’ambiance tendue et mouvementée du scénario d’évasion monté par les prisonniers.

     Le “rôle” que joue Boëldieu dans ce scénario rappelle ironiquement son refus de participer au spectacle des prisonniers au camp de Hallbach ; ce n’était pas une activité convenable aux aristocrates. Ici, au contraire, Boëldieu fait clairement du “théâtre”, ce qui est souligné par sa performance musicale, comme par le jeu des projecteurs et sa position “sur scène”, au-dessus des spectateurs. Le volte-face de Boëldieu est suggéré également par l’instrument qu’il joue : la flûte ressemble au fifre, cet instrument plutôt populaire que Boëldieu a déclaré détester dans un épisode au camp de Hallbach. En outre, l’air qu’il joue, “Il était un petit navire”, n’a rien d’aristocratique. Nous comprenons, par tous ces signes, que l’officier aristocrate est en train de se sacrifier pour faciliter l’évasion de ses camarades roturiers ; comme la classe “aristocratique” (i.e., les anciennes élites de la société) cède le pas en Europe aux classes moyennes (Rosenthal) et populaires (Maréchal) après la Premier Guerre mondiale.