Analyse technique
Le plan commence par un panoramique vers le haut,
pendant quon entend une musique de flûte sur lair de la chanson
Il était un petit navire. Le panoramique sarrête
en contreplongée sur Boëldieu quun projecteur rejoint et montre
en train de jouer de la flûte sur lescalier extérieur qui monte
vers les chemins de ronde en haut des remparts. Cut. Plan rapproché de
Rauffenstein qui regarde vers le haut. Cut. Plan rapproché de Boëldieu
qui continue de jouer de la flûte. Cut. Plan moyen de Boëldieu assis
sur la rampe ; il descend et regarde vers les gens en bas. Cut. Les soldats allemands
essaient de maîtriser la foule de prisonniers dans la cour. Cut. Plan rapproché
sur Maréchal qui recule dans la foule et séclipse. Cut. Plan
général : des gardes qui descendent les escaliers en courant pendant
que Rauffenstein remonte lentement, tout seul. Cut. Plan moyen sur Boëldieu
qui continue de monter lescalier extérieur, en jouant toujours le
même air. Cut. Des gardes courent dans la cour. Cut. Des gardes montent
lescalier extérieur en courant. Cut. Boëldieu monte aussi en
courant, accompagné dun panoramique, sarrête un instant
pour permettre que le projecteur le rattrape, puis repart. Cut. Les gardes montent.
Cut. Plan américain sur Maréchal et Rosenthal qui se préparent
à descendre par la fenêtre.
Commentaire
La séquence de lévasion est
tout le contraire du plan-séquence quaffectionne Renoir. Comme il
sagit ici de mettre laccent sur le rythme nerveux de laction,
et sur lopposition entre les Allemands et les Français, Renoir utilise
le montage cut, conjugué à des plans relativements courts.
Tandis quun plan-séquence a tendance à suggérer lunitédans
lespace et dans le tempsde ceux qui occupent le champ filmique, les
coupes franches, par les ruptures brusques quelles introduisent, soulignent
la relation dadversaires qui, au contraire, sépare les Français
des Allemands. La multiplication des plans brefs, souvent rapprochés, accompagnés
dune musique rapide, crée une impression de précipitation
qui traduit lambiance tendue et mouvementée du scénario dévasion
monté par les prisonniers.
Le rôle que joue Boëldieu
dans ce scénario rappelle ironiquement son refus de participer au spectacle
des prisonniers au camp de Hallbach ; ce nétait pas une activité
convenable aux aristocrates. Ici, au contraire, Boëldieu fait clairement
du théâtre, ce qui est souligné par sa performance
musicale, comme par le jeu des projecteurs et sa position sur scène,
au-dessus des spectateurs. Le volte-face de Boëldieu est suggéré
également par linstrument quil joue : la flûte ressemble
au fifre, cet instrument plutôt populaire que Boëldieu a déclaré
détester dans un épisode au camp de Hallbach. En outre, lair
quil joue, Il était un petit navire, na rien daristocratique.
Nous comprenons, par tous ces signes, que lofficier aristocrate est en train
de se sacrifier pour faciliter lévasion de ses camarades roturiers
; comme la classe aristocratique (i.e., les anciennes élites
de la société) cède le pas en Europe aux classes moyennes
(Rosenthal) et populaires (Maréchal) après la Premier Guerre mondiale.
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